Nyctal Arconyx Aventurier
↑ Beau gosse non ? ↑ Localité : Les Enfers. A défaut du meilleur j'ai choisi le moins pire. Arrivé(e) le : : 03/04/2012
| Sujet: Courbes Jeu 19 Juil - 15:54 | |
| Ce qui suit peut être considéré comme un après Hélias, ou bien tout simplement un autre Hélias. Un univers plus avancé technologiquement, plus sombre, plus noir. Je dois pas mal revoir ce texte, notamment sur certains fondements de la société telle que je la décris. Enjoy ! Prologue, partie une - Spoiler:
Des nuages survolent mécaniquement des contrées austères et dépeuplées. Des débris de lumières errent encore çà et là, qui tentent de se terrer pour se faire oublier. Les maigres brins d’herbe qui hantent les lieux sont bientôt morts de faim ; il n’y a pour roc que des gravillons tranchants. Quelques buissons épars poussent ici, semblables à des mains décharnées tendant vers le ciel. Le sable qui parsème le sol est brûlant telle une fournaise vomissant ses entrailles fumantes. L’eau s’évapore sans pouvoir toucher ces grains poussiéreux. Des sillons à sec creusent le sol, témoin d’une époque passée depuis longtemps durant laquelle la vie s’était établie ici. Des vapeurs acides sortent des puits, tels des geysers. L’air est étouffant, irrespirable, suffocant. Le soleil lui-même fuit ces lieux dévastés, la lune et les étoiles ont déserté le firmament. Derrière les nuages, il n’y a que le néant gris et irréprochable. Ce sont les Landes.
Parmi les dunes, des vestiges d’une époque lointaine. Des poteaux électriques tombés au sol, dont les fils sont parfois agités de soubresauts nerveux. Des restes de véhicules motorisés gisent à terre, à demi-enfouis, témoin d’une période sombre qui avait mis le pays à feu et à sang. Des anciens bâtiments sont jetés bas, ruines évocatrices du passé douloureux qui s’est joué ici. La guerre a autrefois ravagé ces lieux, semant la désolation. Les quatre, juchés sur leurs chevaux ténébreux, ont fait la course sur ces terres, lorsqu’elles pouvaient encore prétendre être couvertes d’herbes et de végétation. La Capitale était avant les Révoltes Réprimées un vaste empire s’étendant derrière l’horizon. Mais les villes asservies se sont rebellées, et une guerre s’est déclarée. La Capitale s’est imposée en quelques mois seulement. L’Etat-Major ordonna par la suite l’annihilation totale des opposants. Les rares rescapés qui tentaient de fuir étaient abattus, sans distinction, sans exception. Des armes nouvelles furent employées, détruisant les confins, maudissant ces territoires à jamais. Une ceinture désolée se créa loin de la Capitale, là où étaient les bastions rebelles.
C’est dans ces déserts tourmentés que les évadés ont entamé leur périple, pensant que les vigiles du pénitencier qu’ils laissaient derrière eux les laisseraient mourir de faim. Aucun n’espérait la vie en fuyant la prison. Mais non… Un évadé doit périr par la main de ses précédents gardiens. C’est la loi. Les forts l’appliquent ; les faibles y sont soumis ; les fous la fuient. Les fous, ou ceux qui n’ont rien à perdre d’autre qu’une vie dans les cellules d’une prison au bord du monde, aux dernières frontières de la Capitale, là où commence les Landes. Vivre dans les taudis des cités séculaires où se côtoient les immenses immeubles de grisaille bleutée et les bidonvilles des bas-fonds vaut mieux qu’une salle fermée de barreaux d’acier ; au moins les pauvres sont libres, mais ils ne voient cette réalité qu’une fois qu’un cachot les a engloutis dans ses ténèbres sales.
Des sept qui ont bravé l’interdit en quittant le pénitencier, un seul marche toujours, droit vers le Nord, vers le cœur des Landes. Son ombre le suit, comme un prédateur qui sait que sa proie va bientôt mourir ; tel un charognard, qui n’attend que la bonne occasion de se repaître. Son sang goutte de ses coupures et forme des courbes sur le sol triste et sablonneux derrière lui. Du moins, courbes il y avait avant qu’une rafale n’emporte tout et disperse les traces au creux des nuages. Le reste du groupe est mort il y a bien longtemps. Les Landes sont ainsi, impitoyables espaces qui apprécient les festins de cadavre. Lui aussi sera bientôt digéré, assimilé. Et, fatalement, oublié dans l’air stagnant.
Ou bien il sera reprit par les forces gouvernementales, déjà à sa poursuite dans leurs machines volantes, carcasses de métal que l’homme a plié à son imaginaire. Les aéronefs dont est équipé ce pénitencier datent de l’avant-guerre. Les turboréacteurs attachés à la cuirasse de ces oiseaux de métal sont vieux, fatigués. Rafistolés avec les moyens du bord, c’est à se demander comment ils font pour fonctionner malgré le poids des années. Et pourtant, le ronronnement métallique qui se fait entendre atteste de leur bon état de marche. Ces masses grises qui se meuvent dans les airs semblent flotter, dénuées pourtant de la grâce des oiseaux marins dont parlent les contes pour enfants, dans les hauts quartiers de la Capitale.
Les vigiles ont lancé des corbeaux à la poursuite de l’évadé. Les chimistes de la Capitale ont apprivoisé et soumis à leur folie les corps biologique pour le compte de l’Etat-Major ; ces expériences sont devenus des armes ou des outils logistiques vivants. Déjà, voilà qu’un des animaux repère sa cible, petite silhouette cahotant sur les dunes. Le guetteur maladif se désagrège dans un flash aveuglant. L’éclair lumineux heurte la rétine du vigile de garde qui donne l’alerte. Les alarmes s’empressent d’hurler leur rage, gyrophares rougeoyants parmi la grisaille des nuées. On lance la traque. Efficace et obéissant, c’est ainsi que sont les bons soldats. Les autres sont officiers, les pires sont généraux. La succession d’illuminations qui ravage le ciel confirme les propos du soldat. Il sera récompensé. Le capitaine de bord aboie des ordres que ses subordonnés s’appliquent à exécuter. Les machinistes mettent cap au nord-est ; la flottille vogue, crachotant sa fumée noire, vers sa nouvelle destination.
On largue de nouveaux corbeaux, sans aucune compassion pour les précédents déjà disparus. Ils sont objets. Ils volettent dans l’air quelques secondes avant d’imploser, sans bruit, tranquillement, presque contents de mettre fin à leur vie. Des filins sont déployés, et des vigiles s’y accroche et en descendent. Leurs uniformes épais ne sont pas adaptés au climat local. Des maigres pièces de métal se succèdent à des bouts de cuir bouilli, renforcé à l’intérieur d’un genre de lourd gambison protecteur. Le tout est doublé d’une cape de fourrure de synthèse. Ils sont bientôt trempés de sueur, fatigué. Pourtant, ils cherchent docilement l’évadé. Ils sont chacun équipés d’un vieux fusil au coup à coup. Les balles pendouillent en bandoulière sur leurs épaules. Un couteau, bien souvent rouillé, complète leur armement. Ils portent un masque à gaz sale et tâché par le temps qui leur évite d’être intoxiqués par les vapeurs. La Capitale ne se soucie que peu du matériel acheminé aux pénitenciers situés au bord des Landes.
Les prisonniers qui y sont ne sont de toute façon pas des meurtriers. Ceux-ci sont automatiquement éliminés. Un meurtre non commandité par le gouvernement est sans appel : la société ne veut pas d’éléments instables. Les gens qu’on a parqués dans une cellule du bout du monde sont ceux responsables d’un crime de pensée. Une parole trop haute, et un transporteur est déployé pour acheminer le fautif vers sa dernière demeure ; le rapporteur est faiblement récompensé, mais une piécette peut permettre de vivre dans les bas-fonds. L’Etat -Major juge qu’une pensée corrompue est récupérable. Mieux vaut les interner loin d’ici et les faire mourir à petit feu plutôt que de risquer qu’ils ne propagent leur poison au sein même de la Capitale.
L’évadé est retrouvé, inconscient. La chaleur lui a fait tourner la tête ; les gaz ont dû pénétrer son système cognitif. Qui sait de quoi il peut bien rêver à présent ; s’il est toujours capable de rêver. Les soldats le chargent tant bien que mal sur leurs épaules affaiblies, et le hissent à bord d’un brancard amarré au vaisseau-amiral par des câbles usagés. Les hommes s’accrochent à leur tour aux filins, et le chargement est remonté dans les soutes des différents navires. Les soldats se déchargent sans plus tarder de leur équipement encombrant, et le médecin de bord prend en charge le fuyard. Après un rapide diagnostic s’assurant que l’évadé est toujours vivant, celui-ci est enfermé sans traitement et sans ménagement dans une des cellules du vaisseau. Les soldats qui l’ont porté le laissent là pour mort, incapable du moindre geste. La flottille regagne prestement le pénitencier, sous la lumière d’un lourd soleil. Même si officiellement les Landes sont vides de vie, mieux vaut ne pas trainer trop longtemps dans ces paysages attristés.
Le prisonnier est transféré dans le QHS (Quartier de Haute Sécurité) de l’établissement, isolé du reste de la prison. Toujours comateux, il n’oppose aucune résistance à ses bourreaux. Il est enfermé là, avec un peu d’eau et de pain en guise de repas. Les muscles lâches, son dos glisse contre la paroi et il se retrouve face contre terre. Son esprit, embrumé par les vapes acides, erre aux limites du conscient, sans pouvoir en passer la barrière. Il revoit les splendeurs de la Capitale, les misères des bas quartiers. Un imperceptible sourire s’étire sur son visage impassible. Bientôt tout sera fini. Tout.
L’officier, dans sa loge spacieuse et décorée avec goût, se félicite de cette prise. Il est regrettable bien sûr que les six autres détenus aient trouvé la mort au cours de leur escapade, mais au moins un est récupéré : l’honneur, sinon sauf, n’est pas brisé. Enfin, presque. Il se met à jouer nerveusement avec la plaquette du prisonnier, que celui-ci portait encore autour du coup lors de sa capture. Alphonse Laurent, peut-on y voir inscrit. Et si on retourne la plaque, d’autres gravures marquent le métal : « Condamné le 6/09/1958. D.E.G. 5482». Le sigle signifie que le détenu est coupable de diffamation envers le gouvernement. Cela peut être des paroles, des graffitis, ou simplement un coup de tête de l’Etat-Major. Le numéro est celui qui sert d’immatriculation au prisonnier. Chacun est fiché dans les registres du gouvernement. La tête n’oublie jamais. Le téléphone sonne, et l’officier sursaute brusquement. Sortant de sa rêverie, il décroche le combiné et l’approche de son oreille.
- Capitaine Rogard à l’appareil, j’écoute.
La voix qui lui répond est froide, dénuée d’émotion. Elle exécute les ordres qu’on lui donne. Bien que le capitaine Rogard ne soit pas un tendre, cette voix lui donne bien vite la chair de poule. Des sueurs lui viennent lorsque la voix annonce son grade.
- Bonsoir, capitaine. Ici le secrétaire personnel du chef de l’Etat-Major. Nous avons appris qu’un de vos prisonniers s’était évadé aujourd’hui, est-ce exact ?
Rogard déglutit péniblement. Le gouvernement a des mouchards jusque dans les pénitenciers. Il manifeste son acquiescement avec un petit « Oui ». La voix reprend, plus froide que jamais.
- Voyez-vous, capitaine, en temps normal, cette évasion vous aurait valu une comparaison devant un tribunal militaire. Mais le gouvernement a ardemment besoin en ces jours d’un prisonnier à exécuter publiquement afin de rappeler au peuple de la Capitale qui commande et qui fait les lois. Certains courants de pensée agitent les basses sphères de la population, et une exécution publique d’un seul aura plus de répercutions que des rafles dans les taudis. Un transporteur viendra chercher le prisonnier numéro cinq mille quatre cent quatre-vingt-deux dans la journée. D’ici là, tachez de le faire tenir debout, qu’il ne nous arrive pas mort au district, sans quoi vous serez sur la potence. Bonne nuit, capitaine.
La conversation se coupe dans un grésillement étouffé. Le capitaine Rogard est tétanisé, son corps, affalé dans le fauteuil, ne lui obéit plus. Des pensées se succèdent par flash interposés dans son esprit. Emergent du lot la vision d’un homme qui lui ressemble fortement en train de se balancer au bout d’une corde. L’officier sort en trompe de sa chambre, fait réveiller la garnison, et leur hurle des ordres que les soldats exécutent avec zèle. Au petit matin, la prison est nettoyée de fond en comble ; les prisonniers sont rasés et bien habillés ; les soldats se sont vêtus de leur uniformes de parade. Alphonse Laurent a été pris en charge par l’équipe médicale toute la nuit durant. Les lignes de perfusions courent le long de ses membres et sur ton torse sont comme des tentacules transparents, telles des artères à fleur de peau. Un masque lui couvre le visage, masquant ses yeux. Peu après la collation, un bourdonnement emplit l’air, et le mastodonte impérial se pose peu après à quelques dizaines de mètres du pénitencier. La large typographie à l’avant l’annonce comme le VEM Morgane.
Le capitaine Rogard attend, la bouche sèche, dans la grande cour de la prison. Les vigiles, disposés en carré ouvert autour de lui, semblent des statues de granit. Dans ce silence, cérémonial, le bruit des bottes martelant le sol est très distinct, et rompt avec la monotonie du vent. Trois officiers en tenue militaire, l’arme à la ceinture, passent la porte d’accès. Passant devant les soldats sans un seul regard, ils s’arrêtent finalement devant Rogard, déjà au garde-à-vous. Ils se saluent mutuellement, et les nouveaux arrivant lui ordonnant le repos. Ils sont bien plus hauts que lui dans la hiérarchie militaire. C’est dire l’importance que revêt l’exécution d’Alphonse. Une équipe de médecin charge le brancard sur le lequel est installé Alphonse à bord du vaisseau. Le lit tangue au fil des cailloux qui parsèment le sol.
Les officiers échangent des informations relatives au prisonnier 5482. Rogard leur fourni, tremblotant et redoutant le contact de leurs mains gantées, une mallette contenant tout le dossier. Il est coutume de le brûler lorsque le prisonnier meurt. Le chef de la mission échange un bref regard avec Rogard, et confie l’objet à ses subordonnés. Le salut est réitéré, et ils repartent vers le Morgane. Le tout a duré moins d’une heure. Le vaisseau impérial décolle dans un vacarme assourdissant. Des gerbes de sable sont projetées contre la prison. C’est une tempête qui s’engouffre par la porte d’entrée laissée grande ouverte. Les vigiles, dans le plus strict respect de l’ordre militaire, n’esquissent pas le moindre geste. Rogard même accepte d’être submergé par le nuage.
Quand la tempête s’est envolée dans l’air brûlant, le capitaine essuie négligemment son front où se mêle sueur et poussière. Il tente de déglutir, la bouche plus sèche que jamais. La pensée qu’il n’est qu’un pion au service du haut commandement l’étreint. Pour la première fois, l’impression d’avoir tué un non-coupable le prend. Il s’en retourne à sa loge, sans mot dire, sans geste de révolte. Le pouvoir de la Capitale est effrayant.
Prologue, partie Deux - Spoiler:
Le Morgane atterrit sur le quai numéro cinq. Durant le voyage monotone qui l’a conduit jusqu’en Capitale, Alphonse n’a pas ouvert les yeux. Les battements de son cœur semblent moins incertains, mais les médecins craignent pour leur vie si d’aventure il venait à s’arrêter. Une exécution ou plusieurs, l’Etat-Major est loin de s’en soucier. Mais il est devenu ardu de recruter des personnes entièrement dévouées au gouvernement. Des mouvements d’insurgés aux ordres de l’Eglise sont de plus en plus menaçants, allant jusqu’à infiltrer certains corps armés. Des actes terroristes éclatent, isolés. S’ensuivent des rafles par dizaines sur les individus vers lesquels se portent les soupçons. C’est un bras de fer permanent entre le gouvernement et les forces rebelles, et aucun n’est prêt à lâcher. C’est la raison de l’exécution d’Alphonse. Montrer une fois pour toute qui détient le pouvoir. Bien que l’Etat-Major détienne l’essentiel des forces armées, il redoute un coup d’Etat.
Le corps d’Alphonse est parsemé d’électrodes blanches. Les perfusions ont été régulièrement changées. Les diagnostics des médecins se sont enchaînés : il apparait clairement que l’évadé est allé trop loin dans les Landes. Si certains s’interrogent sur l’hypothèse de la ligne du non-retour, ils se gardent bien d’en parler. La priorité n’est pas de réveiller Alphonse, mais de le garder en vie. Les illusions de l’Etat-Major feront le reste.
On a prévu l’exécution dans deux jours. Pour le treize avril quatre-vingt-neuf, à dix-sept heures. L’Etat-Major règne avec une main de fer sur le pays depuis presque un siècle désormais. Contesté, mais jamais déchu. L’Eglise est le plus puissant mouvement de révolte qu’a eu à essuyer l’Etat-Major. La foi des fanatiques peut déplacer des montagnes lorsqu’elle est canalisée, contrôlée, manipulée. Les milices ecclésiastiques sont recrutées très tôt, dès l’enfance, de force. On en fait de parfaits combattants ne craignant ni la mort, ni la vie. Des pantins désarticulés sans libre arbitres, voilà ce que sont les hommes de mains de l’Eglise. Les troupes d’élites ne sont même pas humaines. Trop de défaillance, de risque, malgré le conditionnement. Une machine incarne la perfection. L’Eglise compte sept de ces cyborgs. Ils ont l’apparence d’anges ailés.
Alphonse est interné dans l’hôpital militaire. Une équipe le surveillera constamment pendant les prochains jours. Elles essaieront toutes de le ranimer avant la date butoir. Les heures filent, les minutes s’enchaînent, les secondes se dédoublent. Le treize avril se lève sur la Capitale, toute souillée d’un brouillard sombre. L’exécution aura lieu devant le quartier général de l’Etat-Major. Plus tôt dans la semaine, des tribunes ont été élevées, afin de profiter du spectacle. Un maximum de personne doit pouvoir assister à l’opération, qui s’est vu offrir une large couverture médiatique. L’exécution s’annonce comme une onde de choc dans la ville.
Il est l’heure. Alphonse semble avoir récupéré quelque peu, aussi bizarre que cela puisse être. Il reste docile, acceptant de se faire traîner sans ménagement jusqu’au lieu de son dernier soupirs. A son arrivée sur la place, le silence se fait. Pas d’acclamations, ou de huées. Simplement le bruit du vent sur les visages.
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